Yves Rondelet a soutenu en 2006 sa thése ayant pour thème. Le miel en Afrique de l’Ouest. Il en a parcouru la majorité des pays pour
étudier les spécificités de ces différentes apicultures.
Réveil en brousse
Le jour ne se levait pas encore et, déjà, un sourd et continu bruissement mettait en musique la contemplation visuelle et olfactive de ces centaines de fleurs de néré, suspendues aux branches à peine visibles dans ce tout petit matin . En quelques minutes, le bourdonnement prenait une ampleur impressionnante … Des milliers d’abeilles avaient précédé le soleil . Avec une ardeur surprenante, elles butinaient déjà . Et quand sa lumière apparut nettement, le bruit s’estompa, très vite, pour disparaître avec les ouvrières qui semblaient, tout à coup, déserter le chantier . Mais, un peu plus tard, dans la matinée, un vrombissement plus sonore encore, accompagnait l’arrivée d’un essaim qui s’engouffrait en quelques instants au cœur d’un arbre creux, élu comme nouveau logis . Ces petites abeilles paraissaient plus rapides, plus vives que leurs congénères européennes . Un géographe venu de loin connaissant, un peu, les abeilles de son pays, avait dormi sous le néré, puis vu, entendu, senti, admiré ce spectacle insolite … tandis que le soleil montait dans le ciel et que les ouvrières semblaient se consacrer aux travaux d’intérieur tant que duraient les fortes chaleurs .
Et la lumière fut .
De retour en Europe, il n’oubliait pas cet épisode et voulut pousser plus loin la réflexion sur les abeilles et la production du miel en Afrique de l’Ouest . Ce débordement de vitalité en pleine saison sèche semblait une force de la nature . Restait à l’étudier dans son milieu, à regarder comment l’homme en tirait profit …
On allait croiser les regards du géographe étudiant les abeilles et le miel avec ceux de l’apiculteur considérant un espace tropical ciblé . Etait-ce, là, le cumul anecdotique de deux dépaysements, de deux dérives, ou l’occasion rêvée pour un géographe de choisir, comme objet d’étude , son hobby replacé dans un monde à découvrir ? Il ne semblait pas impossible que ce travail puisse déboucher, un jour, sur des propositions pratiques, voire la mise en œuvre d’un projet de développement … Encore fallait-il justifier ce choix : était-ce, là, un travail de géographe ?
Approches insolites, audacieuses et pertinentes ?
En moyenne, chaque habitant de la Terre consomme, sur une année, environ 150 grammes de miel . Il ne s’agit donc pas d’un « grand produit » agricole, base de l’alimentation ou d’une activité artisanale ou industrielle majeure . Marginale, en quantité, cette production n’est pas souvent prise en compte dans les statistiques . Elle peut l’être , parfois, parmi les produits d’origine végétale, ou animale, ou diverse, ou à part, dans le « secteur informel » . Certes, les quantités de miel varient selon les espaces géographiques mais les tonnages sont rarement très impressionnants . Bien peu de régions sont caractérisées principalement par le miel . Et, mis à part les déserts, tous les milieux chauds et tempérés disposent de colonies d’abeilles et, donc, de miel . Chercher des différenciations spatiales fondées sur une production omniprésente et presque partout marginale -au moins du point de vue quantitatif- peut donc paraître insolite . Mais rien ne s’oppose à cette tentative .
L’étude d’un produit rare n’est pas, d’ordinaire, l’objet du géographe ; d’autres spécialistes s’en chargent. Et, pour ce qui est du miel, les acteurs principaux - en fait ici des actrices : abeilles, mellipones et trigones– sont étudiés depuis longtemps par les entomologistes ? De même, se sont multipliés les traités d’apiculture où la dimension spatiale est certes évoquée, mais surtout en lien avec la végétation mellifère – que les botanistes connaissent bien – même si le potentiel de production de miel à l’hectare n’est pas toujours précisément défini (particulièrement pour les essences tropicales).
Au niveau de la production du miel, n’est-on pas là en plein « domaine réservé » des sciences dites naturelles ? Quant à l’étude de la filière miel, ne relève-t-elle pas de nombreux et divers autres spécialistes ?
Mais l’approche spatiale reste essentielle et permet le cumul et la synthèse de nombreuses et nécessaires connaissances qui se vérifient, s’appliquent, s’enracinent dans le terrain du géographe dont la discipline est, en même temps diversifiée et très ouverte sur ses voisines . Peut-on imaginer, sur le site minuscule du miel, un petit carrefour des grandes autoroutes de la géographie ( physique, humaine, sociale, culturelle, économique, …) en terrain presque vierge mais éclairé par les lumières des disciplines voisines ? C’est, là, une audace un peu démesurée, certes, d’autant plus que seront nécessaires à l’explication, quelques incursions dans les domaines d’autres sciences . Mais ce travail étant, avant tout, géographique, nous prions les spécialistes de zoologie, botanique, économie et autres de bien vouloir excuser des simplifications qui pourraient leur sembler rapides.
S’ajoute encore, surtout en Afrique de l’Ouest, la rareté des données accessibles, claires et fiables, ce qui rend difficile l’étude des aspects économiques… Bref, beaucoup d’obstacles à surmonter pour engager un travail géographique !
Pourtant, la dimension spatiale se retrouve dans la vie de la colonie d’abeilles, dans la production du miel et à tous les stades de la filière . De multiples approches géographiques superposées, s’enracinent sur le terrain et s’emboîtent selon les différentes échelles dont chacune peut être le cadre d’une intéressante problématique . Mais des nombres, des dimensions, en rapport avec la multitude des abeilles dépaysent et surprennent l’homme, fut-il géographe, et semblent brouiller la hiérarchie des échelles et pousser plus loin les limites de la présente étude .
Par exemple : sait-on qu’un seul kilo de miel, c’est 40 000 km parcourus, cinq millions de visites de fleur en fleur, un espace moyen de trente kilomètres carrés soigneusement exploré, repéré, mémorisé, exploité, fécondé ? Certes, l’abeille n’est pas géographe ; sa connaissance du milieu reste locale, partielle et fugitive ; mais son action sur l’environnement dépasse largement la seule production du miel, de la gelée royale, du pollen, de la propolis. La pollinisation qu’assurent les abeilles contribue à la sauvegarde de l’écosystème (on estime que leur disparition entraînerait celle d’environ 100 000 espèces végétales dans le monde).
Le miel récolté par une colonie est le cocktail des nectars d’un lieu et d’une saison ; il a ses caractères spécifiques : teneur en eau, composition exacte et arômes en fonction de la flore mellifère locale (originelle ou cultivée), du calendrier floristique et météorologique dans l’aire de butinage (s’il pleut sans discontinuer durant une floraison, celle-ci ne donne pas lieu au butinage, même si la fleur est très mellifère).
Si des floraisons abondantes et solitaires se succèdent sans chevauchement, les récoltes de miels monofloraux sont possibles. Autrement, ce seront des miels polyfloraux, appelés souvent « toutes fleurs », « mille fleurs », …
Bref, chaque miel est le produit d’un terroir, reflet d’un espace géographique bien précis, à une période donnée. Une photographie est une image instantanée ; l’analyse pollinique d’un miel détaille les floraisons d’une aire de butinage précise durant plusieurs semaines . Le nombre et la nature des essences butinées, les quantités récoltées, le taux d’humidité, analysés avec rigueur, sont très riches d’enseignements . Les abeilles fournissent donc un outil supplémentaire au biogéographe pour l’étude d’un milieu local mais aussi les bases d’une typologie des espaces bioclimatiques mais, aussi, des calendriers . Ces données pourront confirmer ou nuancer, par exemple, la disposition zonale des unités spatiales observées et définies à partir de critères classiques, pluviométriques, par exemple . Elles peuvent permettre d’observer des corrélations possibles entre données naturelles et culturelles, au niveau de la teneur en eau dans le miel, par exemple, avec des pratiques de consommation très différentes : miels crus ou cuits, transformation en alcool … autant de différences observables entre le Nord et le Sud de la Côte d’Ivoire, par exemple .
Approches ciblées sur l’Afrique de l’Ouest .
Toute une série de paradoxes ont retenu l’attention et pesé en faveur de ce choix . Par exemple, les quantités produites semblent minimes mais le miel dispose d’un prestige et d’une importance sociale immense à l’échelle des régions et des aires culturelles et anthropologiques. Le miel n’est pas un simple produit de cueillette ou de l’agriculture vivrière. Il est riche en vertus (réelles ou supposées), en significations plus ou moins mythiques ou surnaturelles.
Le miel est presque partout considéré comme bon pour la santé, voire comme un médicament. Est-ce qu’il concentre les principes bienfaisant des fleurs ? On lui attribue en tous cas des vertus thérapeutiques toujours nombreuses, mais diverses selon les populations. Sa valeur prend déjà une autre dimension.
Les Bambara du Mali disent « pour nourrir les êtres animés, Dieu créa deux liquides blancs, la lymphe et le lait, et deux liquides rouges, le sang et le miel. Ce dernier est de loin le meilleur. Comme l’or, il ne s’altère pas, il ne se corrompt pas et il ne pourrit pas »[1]. De plus, chez beaucoup d’ethnies, dans la vie de chaque individu, la première récolte de miel est une épreuve initiatique essentielle, le passage dans le monde des adultes . Non seulement le produit est plus ou moins sacré mais il correspond à un souvenir très fort .
Ajoutons que le miel intervient aussi dans le rapport à la mort. Un surcroît de longévité lui est souvent associé. Est-ce la force du nombre des abeilles d’une colonie ou celle de l’ordre immuable de son organisation qui frappe les esprits ? Est-ce du fait des vertus bactéricides du miel (déjà utilisé pour la conservation des momies égyptiennes) ? Toujours est-il que la plupart des religions lui attribuent un rôle positif, souligné dans la Bible et le Coran . Même en dehors de toute vision mystique ou religieuse, l’abeille, le miel, la ruche inspirent une sympathie collective relativement irrationnelle, et d’ailleurs mise à profit bien souvent par les publicitaires, et pas seulement en Afrique .
Autre paradoxe, c’est l’écart entre la production officielle et les possibilités dont semble disposer le milieu naturel . Nous avons eu, lors des voyages, l’impression d’un potentiel mellifère élevé (qu’il s’agit bien entendu de préciser). Nous avions remarqué la vitalité de l’abeille, malgré une technique de cueillette très destructrice.
Même si en valeur absolue la production de miel de l’Afrique de l’Ouest paraît dérisoire, elle représente sur place, dans les diverses sociétés africaines, une activité non négligeable. La consommation de miel dépasse ici largement les chiffres officiels de la production, en raison des activités informelles de cueillette largement répandues et bien évidemment non répertoriées, tout comme une partie importante de la production de l’apiculture traditionnelle.
Ici, la récolte du miel est très largement pratiquée dans tout le monde rural, or ce dernier regroupe encore une part très importante de la population, d’où un réel enracinement de cette activité dans l’espace et dans le calendrier du paysan (c’est une activité de saison sèche, qui occupe les temps morts et favorise la soudure ) .
Nous avons ici , parfois, une filière complète, très courte, entièrement sur place, avec des prix dérisoires mais, aussi, d’autres, beaucoup plus complexes et longues, fonctionnant pour le ravitaillement des villes au profit presque exclusifs d’intermédiaires parasitaires . Bien que, malheureusement, classique, cette situation nous a semblé mériter un peu d’attention . Et d’autres contrastes ont suscité notre curiosité, par exemple entre les différents modes de production du miel, tous présents sur ces territoire, des plus sommaires aux plus sophistiqués, avec la même race d’abeilles . L’Apis Mellifica Adansonii, présente dans presque toute l’Afrique de l’Ouest, est une race bien caractérisée : agressive, prolifique, essaimeuse, et sujette à la désertion. Mettre en rapport ces traits spécifiques avec les données géographiques locales nous est apparu intéressant.
L’Afrique de l’Ouest semble aussi une exposition ou un musée de très nombreuses techniques, aussi bien de la cueillette, ici largement répandue, que de l’apiculture sous ses diverses formes (traditionnelle, améliorée, moderne) ; cette palette aussi complète sur un même espace géographique mérite l’attention. Certains parlent de forme plus ou moins évoluées, selon une hiérarchie très occidentale et sans doute simpliste, des techniques les plus sommaires aux plus élaborées, comme reflet d’un plus ou moins grand retard.
L’adaptation de la technique au milieu nous a semblé un sujet digne d’intérêt. De même, les incidences diverses de ces techniques sur l’environnement apparaissent plus décisives qu’on ne peut l’imaginer a priori pour une activité dite « marginale » ; par exemple pour les feux de brousse, pratique représentative elle aussi des campagnes intertropicales d’Afrique de l’Ouest.
Ainsi, le passage d’une technique à l’autre n’est pas sans conséquences, parfois profondes, sur le milieu local dans son ensemble. Ses modalités sont également pour beaucoup dans l’acceptation durable et la pérennisation des nouvelles pratiques.
La question nous a largement interpellés ; elle nous apparaît centrale pour la présente étude. Les projets de protection de l’environnement et de développement local fondé sur celui de l’apiculture ont été multipliés par des organisations internationales (F.A.O., …), des O.N.G., sur tout le territoire de l’Afrique de l’Ouest ; beaucoup se sont succédés sur un même lieu, sans résultat significatif : c’était la greffe d’une activité moderne menée par des techniciens étrangers formés dans un tout autre cadre géographique. Elle n’a presque jamais pris réellement racine. Mais quand le projet fonctionne bien, avec les expatriés, une réelle pérennisation au-delà de leur départ n’est pas fréquente . C’est un fait pour beaucoup de projet dans des domaines variés, mais il semble plus accusé encore pour l’apiculture . Une connaissance fouillée du milieu (pas seulement naturel) devrait éclairer cette question (que prennent déjà en compte certaines O.N.G. pour éviter cette dérive ) .
Un large espace et peu de données .
Restait à définir les limites géographiques du domaine étudié . Tout comme la géographie humaine des espaces tropicaux non désertiques, s’arrête, de fait, au désert puisqu’il n’y a plus d’hommes1 , la même limite s’impose pour une étude géographique du miel, puisqu’il n’y a plus ni fleurs ni abeilles . Certes des oasis sont peuplées d’ abeilles, par exemple Timia, au Niger ( avec une autre race, l’Apis mellifica sahariensis ) et, encore, parfois des caravanes transportent du miel à travers le désert ; mais on conviendra que c’est l’exception . Une latitude précise, par exemple le 15ème parallèle, ou une limite pluviométrique ( on pourrait choisir 250 ou 300 mm par an ) ne peuvent s’imposer de façon rigoureuse puisque les vallées du fleuve Sénégal ou du Niger, sont fleuries et peuplées de colonies d’abeilles, même au Nord de ces limites . On peut convenir, pour simplifier, que notre domaine d’étude potentiel s’arrête, vers le Nord, au Sahara et, vers le Sud au Golfe de Guinée, soit, une extension en latitude d’un peu plus de dix degrés .
Entre l’étude fouillée d’un seul Etat et le survol de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, nous avons fini par choisir un compromis. Il fallait, en latitude, balayer l’ensemble des régions climatiques zonales de l’Afrique de l’Ouest et pouvoir aussi comparer cette activité chez les peuples de la savane et ceux de la forêt. En longitude, nos ambitions se sont arrêtées à la frontière du Nigéria, avec donc en même temps des pays côtiers et d’autres enclavés, des plaines basses et quelques espaces plus élevés (Fouta Djalon), un large éventail d’ethnies pratiquant plus ou moins la cueillette et parfois une véritable apiculture dès l’époque pré-coloniale et s’étant diversement prêtées aux expériences des projets d’apiculture améliorée ou moderne.
Les guerres civiles nous ont imposé quelques lacunes ou des raccourcis trop sommaires. Ont étés visités : le Sénégal (6 voyages), le Mali (4), le Burkina Faso (3), la Guinée (1), la Côte d’Ivoire (1), le Bénin (1), le Togo (2), le Ghana (1).
Seront étudiés ou au moins évoqués tous ces pays, ainsi que la Gambie, la Guinée-Bissau, la Sierra Leone, le Libéria et l’ouest du Niger, soit un espace total d’environ 2,3 millions de km². Quelques incursions au Nigéria et jusqu’au Cameroun, en pays bamiléké nous permettrons quelques comparaisons .
Au défi de la surface s’ajoute celui de la pauvreté des informations déjà établies. La bibliographie est des plus sommaires. Beaucoup d’ouvrages existent sur l’apiculture en général, mais on y évoque très peu l’Afrique de l’Ouest (un peu plus l’Afrique de l’Est : Ewa Crane, …).
Inversement, les livres sur l’Afrique ou tel ou tel de ces pays ne comportent presque rien sur le miel. De même, la flore en général est bien étudiée, les plantes spécifiquement mellifères l’on été pour l’Ethiopie, qui a donné lieu à un ouvrage volumineux (Cf. bibliographie). En Afrique de l’Ouest, il faut se contenter d’études locales… De même, les pièces officielles sur la production de miel sont rarissimes. Les rapports des O.N.G. sont plus riches, mais ils consacrent beaucoup de pages aux problèmes de gestion. On peut citer, en particulier, l’A.F.V.P. et G.T.Z. dont nous remercions au passage les responsables administratifs, les animateurs de projet et archivistes qui nous ont fourni une aide précieuse. Des travaux, parfois anciens, des universitaires africains existent sur le sujet, mais rarement chez les géographes.
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(1) Cf Ambiguïtés tropicales – Denis LAMARRE - B.A.G.F. - Décembre 2002
Ceux-ci sont parfois volontiers apiculteurs eux-mêmes, mais la géographie de l’apiculture est encore peu représentée. La thèse de Madame Flora Sheng-hua CHENG1 envisageait bien la dimension spatiale au niveau de la transhumance apicole en France, mais cette pratique n’existe quasiment pas en Afrique de l’Ouest. Une dimension géographique évidente qui ne peut être étudiée ici. Mais beaucoup d’autres méritaient qu’on les aborde .
Deux axes privilégiés .
Il fallait d’abord présenter les actrices principales de la production du miel, formant, elles-mêmes, une société puis replacer le miel dans son contexte, son environnement naturel, (marqué par le climat, la végétation, les autres animaux ) mais aussi, social, culturel pour mieux discerner les nombreux et divers facteurs de production ( incidences sur les quantités et qualités du produit ), les motivations des cueilleurs de miel, celles des consommateurs potentiels … pour voir, aussi, à l’inverse, les influences sur l’environnement du travail des abeilles ( pollinisation) et celles des différentes techniques de la récolte du miel pratiquées en Afrique de l’Ouest . L’ensemble a été regroupé sous la rubrique « Miel et Environnement » .
Le passage à différentes formes d’apiculture est, le plus souvent considéré comme un progrès. Cette activité se développe, elle-même, plus ou moins, freinée par beaucoup d’obstacles ; Est-ce qu’elle contribue au développement local ? à celui des économies nationales ? à certaines composantes d’un développement humain, social difficile à quantifier ? Qu’en est-il de la pérennisation des progrès accomplis ? … Sous le titre « Apiculture et Développement » beaucoup de questions, quelques réponses sur le développement que l’apiculture induit déjà ici ou là, celui qu’elle permet d’espérer, en quantité, en qualité, occasionnel ou durable .
Des limites certes, mais des liens prometteurs .
Travail téméraire, la présente étude a pour ambition d’indiquer des pistes, de poser des questions, parfois sans réponse définitive. D’autres poursuivront, préciseront, à commencer par les quelques étudiants d’universités africaines avec lesquels une petite équipe de recherche se met en place et a pu déjà fournir d’utiles informations collectées sur le terrain et faire aboutir quelques monographies comme celle de Yaya MBALLO2
Au total, le butinage incomplet du territoire est un choix, accentué parfois par les circonstances, mais les exemples traités reflèteront une bonne part de la diversité de l’espace et de la multiplicité des thèmes. Nous y avons veillé tout particulièrement, en essayant de ne pas donner une importance démesurée aux communautés rurales (fort nombreuses) qui nous ont réservé un accueil plus cordial encore que les autres.
Les contacts sur place ont effectivement permis de créer des liens étroits dans le feu, ou plutôt la fumée, de l’action concrète à l’occasion des visites auprès des cueilleurs, des apiculteurs, des techniciens, … mais aussi des colonies d’abeilles.
Il est vrai que mettre la main à la ruche en compagnie de son propriétaire crée un climat, une confiance, une sorte de complicité de toujours qui devient naturelle dans l’instant si la colonie reste à peu près douce et ne déserte pas sous les mains du visiteur étranger. Des échanges sur la vie de nos abeilles respectives, le calendrier, le matériel, le savoir-faire, les tours de main au Nord et au Sud, … consolident l’attente d’un partenariat (qui a pu, ici ou là, prendre forme).
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(1) L’Activité spatiale apicole en France . Flora Sheng-hua CHENG Thèse de 3èmr cycle de Géographie Paris IV Octobre 1984 .
(2) Impact socio-économique et Incidences environnementales de la Récolte du Miel en Haute Casamance – Le Cas de la Communauté rurale de Tankanto-Escale . Yaya MBALLO Maîtrise de Géographie – Université Gaston Berger de Saint Louis 2001
Enfin, cette recherche, grâce aux liens établis, peut contribuer ici ou là, à une sensibilisation au bienfait qu’une apiculture maîtrisée peut répandre sur l’espace et dans la société : protection de l’environnement, complément logique et naturel sur différents plans (celui de l’alimentation, de l’économie familiale ou villageoise, du calendrier du paysan, …). Beaucoup de responsables d’associations ou de services publics, d’apiculteurs, de scientifiques, d’étudiants, d’O.N.G., y contribuent. Que tous soient ici remerciés pour l’aide apportée, dans l’enthousiasme, à ce travail et à la cause d’une apiculture porteuse pour les hommes, les abeilles et leur espace commun.
[1] In L’apiculture africaine en régions tropicales et équatoriales de l’Ouest, Bruno VILLIERES, p. 195
Le jour ne se levait pas encore et, déjà, un sourd et continu bruissement mettait en musique la contemplation visuelle et olfactive de ces centaines de fleurs de néré, suspendues aux branches à peine visibles dans ce tout petit matin . En quelques minutes, le bourdonnement prenait une ampleur impressionnante … Des milliers d’abeilles avaient précédé le soleil . Avec une ardeur surprenante, elles butinaient déjà . Et quand sa lumière apparut nettement, le bruit s’estompa, très vite, pour disparaître avec les ouvrières qui semblaient, tout à coup, déserter le chantier . Mais, un peu plus tard, dans la matinée, un vrombissement plus sonore encore, accompagnait l’arrivée d’un essaim qui s’engouffrait en quelques instants au cœur d’un arbre creux, élu comme nouveau logis . Ces petites abeilles paraissaient plus rapides, plus vives que leurs congénères européennes . Un géographe venu de loin connaissant, un peu, les abeilles de son pays, avait dormi sous le néré, puis vu, entendu, senti, admiré ce spectacle insolite … tandis que le soleil montait dans le ciel et que les ouvrières semblaient se consacrer aux travaux d’intérieur tant que duraient les fortes chaleurs .
Et la lumière fut .
De retour en Europe, il n’oubliait pas cet épisode et voulut pousser plus loin la réflexion sur les abeilles et la production du miel en Afrique de l’Ouest . Ce débordement de vitalité en pleine saison sèche semblait une force de la nature . Restait à l’étudier dans son milieu, à regarder comment l’homme en tirait profit …
On allait croiser les regards du géographe étudiant les abeilles et le miel avec ceux de l’apiculteur considérant un espace tropical ciblé . Etait-ce, là, le cumul anecdotique de deux dépaysements, de deux dérives, ou l’occasion rêvée pour un géographe de choisir, comme objet d’étude , son hobby replacé dans un monde à découvrir ? Il ne semblait pas impossible que ce travail puisse déboucher, un jour, sur des propositions pratiques, voire la mise en œuvre d’un projet de développement … Encore fallait-il justifier ce choix : était-ce, là, un travail de géographe ?
Approches insolites, audacieuses et pertinentes ?
En moyenne, chaque habitant de la Terre consomme, sur une année, environ 150 grammes de miel . Il ne s’agit donc pas d’un « grand produit » agricole, base de l’alimentation ou d’une activité artisanale ou industrielle majeure . Marginale, en quantité, cette production n’est pas souvent prise en compte dans les statistiques . Elle peut l’être , parfois, parmi les produits d’origine végétale, ou animale, ou diverse, ou à part, dans le « secteur informel » . Certes, les quantités de miel varient selon les espaces géographiques mais les tonnages sont rarement très impressionnants . Bien peu de régions sont caractérisées principalement par le miel . Et, mis à part les déserts, tous les milieux chauds et tempérés disposent de colonies d’abeilles et, donc, de miel . Chercher des différenciations spatiales fondées sur une production omniprésente et presque partout marginale -au moins du point de vue quantitatif- peut donc paraître insolite . Mais rien ne s’oppose à cette tentative .
L’étude d’un produit rare n’est pas, d’ordinaire, l’objet du géographe ; d’autres spécialistes s’en chargent. Et, pour ce qui est du miel, les acteurs principaux - en fait ici des actrices : abeilles, mellipones et trigones– sont étudiés depuis longtemps par les entomologistes ? De même, se sont multipliés les traités d’apiculture où la dimension spatiale est certes évoquée, mais surtout en lien avec la végétation mellifère – que les botanistes connaissent bien – même si le potentiel de production de miel à l’hectare n’est pas toujours précisément défini (particulièrement pour les essences tropicales).
Au niveau de la production du miel, n’est-on pas là en plein « domaine réservé » des sciences dites naturelles ? Quant à l’étude de la filière miel, ne relève-t-elle pas de nombreux et divers autres spécialistes ?
Mais l’approche spatiale reste essentielle et permet le cumul et la synthèse de nombreuses et nécessaires connaissances qui se vérifient, s’appliquent, s’enracinent dans le terrain du géographe dont la discipline est, en même temps diversifiée et très ouverte sur ses voisines . Peut-on imaginer, sur le site minuscule du miel, un petit carrefour des grandes autoroutes de la géographie ( physique, humaine, sociale, culturelle, économique, …) en terrain presque vierge mais éclairé par les lumières des disciplines voisines ? C’est, là, une audace un peu démesurée, certes, d’autant plus que seront nécessaires à l’explication, quelques incursions dans les domaines d’autres sciences . Mais ce travail étant, avant tout, géographique, nous prions les spécialistes de zoologie, botanique, économie et autres de bien vouloir excuser des simplifications qui pourraient leur sembler rapides.
S’ajoute encore, surtout en Afrique de l’Ouest, la rareté des données accessibles, claires et fiables, ce qui rend difficile l’étude des aspects économiques… Bref, beaucoup d’obstacles à surmonter pour engager un travail géographique !
Pourtant, la dimension spatiale se retrouve dans la vie de la colonie d’abeilles, dans la production du miel et à tous les stades de la filière . De multiples approches géographiques superposées, s’enracinent sur le terrain et s’emboîtent selon les différentes échelles dont chacune peut être le cadre d’une intéressante problématique . Mais des nombres, des dimensions, en rapport avec la multitude des abeilles dépaysent et surprennent l’homme, fut-il géographe, et semblent brouiller la hiérarchie des échelles et pousser plus loin les limites de la présente étude .
Par exemple : sait-on qu’un seul kilo de miel, c’est 40 000 km parcourus, cinq millions de visites de fleur en fleur, un espace moyen de trente kilomètres carrés soigneusement exploré, repéré, mémorisé, exploité, fécondé ? Certes, l’abeille n’est pas géographe ; sa connaissance du milieu reste locale, partielle et fugitive ; mais son action sur l’environnement dépasse largement la seule production du miel, de la gelée royale, du pollen, de la propolis. La pollinisation qu’assurent les abeilles contribue à la sauvegarde de l’écosystème (on estime que leur disparition entraînerait celle d’environ 100 000 espèces végétales dans le monde).
Le miel récolté par une colonie est le cocktail des nectars d’un lieu et d’une saison ; il a ses caractères spécifiques : teneur en eau, composition exacte et arômes en fonction de la flore mellifère locale (originelle ou cultivée), du calendrier floristique et météorologique dans l’aire de butinage (s’il pleut sans discontinuer durant une floraison, celle-ci ne donne pas lieu au butinage, même si la fleur est très mellifère).
Si des floraisons abondantes et solitaires se succèdent sans chevauchement, les récoltes de miels monofloraux sont possibles. Autrement, ce seront des miels polyfloraux, appelés souvent « toutes fleurs », « mille fleurs », …
Bref, chaque miel est le produit d’un terroir, reflet d’un espace géographique bien précis, à une période donnée. Une photographie est une image instantanée ; l’analyse pollinique d’un miel détaille les floraisons d’une aire de butinage précise durant plusieurs semaines . Le nombre et la nature des essences butinées, les quantités récoltées, le taux d’humidité, analysés avec rigueur, sont très riches d’enseignements . Les abeilles fournissent donc un outil supplémentaire au biogéographe pour l’étude d’un milieu local mais aussi les bases d’une typologie des espaces bioclimatiques mais, aussi, des calendriers . Ces données pourront confirmer ou nuancer, par exemple, la disposition zonale des unités spatiales observées et définies à partir de critères classiques, pluviométriques, par exemple . Elles peuvent permettre d’observer des corrélations possibles entre données naturelles et culturelles, au niveau de la teneur en eau dans le miel, par exemple, avec des pratiques de consommation très différentes : miels crus ou cuits, transformation en alcool … autant de différences observables entre le Nord et le Sud de la Côte d’Ivoire, par exemple .
Approches ciblées sur l’Afrique de l’Ouest .
Toute une série de paradoxes ont retenu l’attention et pesé en faveur de ce choix . Par exemple, les quantités produites semblent minimes mais le miel dispose d’un prestige et d’une importance sociale immense à l’échelle des régions et des aires culturelles et anthropologiques. Le miel n’est pas un simple produit de cueillette ou de l’agriculture vivrière. Il est riche en vertus (réelles ou supposées), en significations plus ou moins mythiques ou surnaturelles.
Le miel est presque partout considéré comme bon pour la santé, voire comme un médicament. Est-ce qu’il concentre les principes bienfaisant des fleurs ? On lui attribue en tous cas des vertus thérapeutiques toujours nombreuses, mais diverses selon les populations. Sa valeur prend déjà une autre dimension.
Les Bambara du Mali disent « pour nourrir les êtres animés, Dieu créa deux liquides blancs, la lymphe et le lait, et deux liquides rouges, le sang et le miel. Ce dernier est de loin le meilleur. Comme l’or, il ne s’altère pas, il ne se corrompt pas et il ne pourrit pas »[1]. De plus, chez beaucoup d’ethnies, dans la vie de chaque individu, la première récolte de miel est une épreuve initiatique essentielle, le passage dans le monde des adultes . Non seulement le produit est plus ou moins sacré mais il correspond à un souvenir très fort .
Ajoutons que le miel intervient aussi dans le rapport à la mort. Un surcroît de longévité lui est souvent associé. Est-ce la force du nombre des abeilles d’une colonie ou celle de l’ordre immuable de son organisation qui frappe les esprits ? Est-ce du fait des vertus bactéricides du miel (déjà utilisé pour la conservation des momies égyptiennes) ? Toujours est-il que la plupart des religions lui attribuent un rôle positif, souligné dans la Bible et le Coran . Même en dehors de toute vision mystique ou religieuse, l’abeille, le miel, la ruche inspirent une sympathie collective relativement irrationnelle, et d’ailleurs mise à profit bien souvent par les publicitaires, et pas seulement en Afrique .
Autre paradoxe, c’est l’écart entre la production officielle et les possibilités dont semble disposer le milieu naturel . Nous avons eu, lors des voyages, l’impression d’un potentiel mellifère élevé (qu’il s’agit bien entendu de préciser). Nous avions remarqué la vitalité de l’abeille, malgré une technique de cueillette très destructrice.
Même si en valeur absolue la production de miel de l’Afrique de l’Ouest paraît dérisoire, elle représente sur place, dans les diverses sociétés africaines, une activité non négligeable. La consommation de miel dépasse ici largement les chiffres officiels de la production, en raison des activités informelles de cueillette largement répandues et bien évidemment non répertoriées, tout comme une partie importante de la production de l’apiculture traditionnelle.
Ici, la récolte du miel est très largement pratiquée dans tout le monde rural, or ce dernier regroupe encore une part très importante de la population, d’où un réel enracinement de cette activité dans l’espace et dans le calendrier du paysan (c’est une activité de saison sèche, qui occupe les temps morts et favorise la soudure ) .
Nous avons ici , parfois, une filière complète, très courte, entièrement sur place, avec des prix dérisoires mais, aussi, d’autres, beaucoup plus complexes et longues, fonctionnant pour le ravitaillement des villes au profit presque exclusifs d’intermédiaires parasitaires . Bien que, malheureusement, classique, cette situation nous a semblé mériter un peu d’attention . Et d’autres contrastes ont suscité notre curiosité, par exemple entre les différents modes de production du miel, tous présents sur ces territoire, des plus sommaires aux plus sophistiqués, avec la même race d’abeilles . L’Apis Mellifica Adansonii, présente dans presque toute l’Afrique de l’Ouest, est une race bien caractérisée : agressive, prolifique, essaimeuse, et sujette à la désertion. Mettre en rapport ces traits spécifiques avec les données géographiques locales nous est apparu intéressant.
L’Afrique de l’Ouest semble aussi une exposition ou un musée de très nombreuses techniques, aussi bien de la cueillette, ici largement répandue, que de l’apiculture sous ses diverses formes (traditionnelle, améliorée, moderne) ; cette palette aussi complète sur un même espace géographique mérite l’attention. Certains parlent de forme plus ou moins évoluées, selon une hiérarchie très occidentale et sans doute simpliste, des techniques les plus sommaires aux plus élaborées, comme reflet d’un plus ou moins grand retard.
L’adaptation de la technique au milieu nous a semblé un sujet digne d’intérêt. De même, les incidences diverses de ces techniques sur l’environnement apparaissent plus décisives qu’on ne peut l’imaginer a priori pour une activité dite « marginale » ; par exemple pour les feux de brousse, pratique représentative elle aussi des campagnes intertropicales d’Afrique de l’Ouest.
Ainsi, le passage d’une technique à l’autre n’est pas sans conséquences, parfois profondes, sur le milieu local dans son ensemble. Ses modalités sont également pour beaucoup dans l’acceptation durable et la pérennisation des nouvelles pratiques.
La question nous a largement interpellés ; elle nous apparaît centrale pour la présente étude. Les projets de protection de l’environnement et de développement local fondé sur celui de l’apiculture ont été multipliés par des organisations internationales (F.A.O., …), des O.N.G., sur tout le territoire de l’Afrique de l’Ouest ; beaucoup se sont succédés sur un même lieu, sans résultat significatif : c’était la greffe d’une activité moderne menée par des techniciens étrangers formés dans un tout autre cadre géographique. Elle n’a presque jamais pris réellement racine. Mais quand le projet fonctionne bien, avec les expatriés, une réelle pérennisation au-delà de leur départ n’est pas fréquente . C’est un fait pour beaucoup de projet dans des domaines variés, mais il semble plus accusé encore pour l’apiculture . Une connaissance fouillée du milieu (pas seulement naturel) devrait éclairer cette question (que prennent déjà en compte certaines O.N.G. pour éviter cette dérive ) .
Un large espace et peu de données .
Restait à définir les limites géographiques du domaine étudié . Tout comme la géographie humaine des espaces tropicaux non désertiques, s’arrête, de fait, au désert puisqu’il n’y a plus d’hommes1 , la même limite s’impose pour une étude géographique du miel, puisqu’il n’y a plus ni fleurs ni abeilles . Certes des oasis sont peuplées d’ abeilles, par exemple Timia, au Niger ( avec une autre race, l’Apis mellifica sahariensis ) et, encore, parfois des caravanes transportent du miel à travers le désert ; mais on conviendra que c’est l’exception . Une latitude précise, par exemple le 15ème parallèle, ou une limite pluviométrique ( on pourrait choisir 250 ou 300 mm par an ) ne peuvent s’imposer de façon rigoureuse puisque les vallées du fleuve Sénégal ou du Niger, sont fleuries et peuplées de colonies d’abeilles, même au Nord de ces limites . On peut convenir, pour simplifier, que notre domaine d’étude potentiel s’arrête, vers le Nord, au Sahara et, vers le Sud au Golfe de Guinée, soit, une extension en latitude d’un peu plus de dix degrés .
Entre l’étude fouillée d’un seul Etat et le survol de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, nous avons fini par choisir un compromis. Il fallait, en latitude, balayer l’ensemble des régions climatiques zonales de l’Afrique de l’Ouest et pouvoir aussi comparer cette activité chez les peuples de la savane et ceux de la forêt. En longitude, nos ambitions se sont arrêtées à la frontière du Nigéria, avec donc en même temps des pays côtiers et d’autres enclavés, des plaines basses et quelques espaces plus élevés (Fouta Djalon), un large éventail d’ethnies pratiquant plus ou moins la cueillette et parfois une véritable apiculture dès l’époque pré-coloniale et s’étant diversement prêtées aux expériences des projets d’apiculture améliorée ou moderne.
Les guerres civiles nous ont imposé quelques lacunes ou des raccourcis trop sommaires. Ont étés visités : le Sénégal (6 voyages), le Mali (4), le Burkina Faso (3), la Guinée (1), la Côte d’Ivoire (1), le Bénin (1), le Togo (2), le Ghana (1).
Seront étudiés ou au moins évoqués tous ces pays, ainsi que la Gambie, la Guinée-Bissau, la Sierra Leone, le Libéria et l’ouest du Niger, soit un espace total d’environ 2,3 millions de km². Quelques incursions au Nigéria et jusqu’au Cameroun, en pays bamiléké nous permettrons quelques comparaisons .
Au défi de la surface s’ajoute celui de la pauvreté des informations déjà établies. La bibliographie est des plus sommaires. Beaucoup d’ouvrages existent sur l’apiculture en général, mais on y évoque très peu l’Afrique de l’Ouest (un peu plus l’Afrique de l’Est : Ewa Crane, …).
Inversement, les livres sur l’Afrique ou tel ou tel de ces pays ne comportent presque rien sur le miel. De même, la flore en général est bien étudiée, les plantes spécifiquement mellifères l’on été pour l’Ethiopie, qui a donné lieu à un ouvrage volumineux (Cf. bibliographie). En Afrique de l’Ouest, il faut se contenter d’études locales… De même, les pièces officielles sur la production de miel sont rarissimes. Les rapports des O.N.G. sont plus riches, mais ils consacrent beaucoup de pages aux problèmes de gestion. On peut citer, en particulier, l’A.F.V.P. et G.T.Z. dont nous remercions au passage les responsables administratifs, les animateurs de projet et archivistes qui nous ont fourni une aide précieuse. Des travaux, parfois anciens, des universitaires africains existent sur le sujet, mais rarement chez les géographes.
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(1) Cf Ambiguïtés tropicales – Denis LAMARRE - B.A.G.F. - Décembre 2002
Ceux-ci sont parfois volontiers apiculteurs eux-mêmes, mais la géographie de l’apiculture est encore peu représentée. La thèse de Madame Flora Sheng-hua CHENG1 envisageait bien la dimension spatiale au niveau de la transhumance apicole en France, mais cette pratique n’existe quasiment pas en Afrique de l’Ouest. Une dimension géographique évidente qui ne peut être étudiée ici. Mais beaucoup d’autres méritaient qu’on les aborde .
Deux axes privilégiés .
Il fallait d’abord présenter les actrices principales de la production du miel, formant, elles-mêmes, une société puis replacer le miel dans son contexte, son environnement naturel, (marqué par le climat, la végétation, les autres animaux ) mais aussi, social, culturel pour mieux discerner les nombreux et divers facteurs de production ( incidences sur les quantités et qualités du produit ), les motivations des cueilleurs de miel, celles des consommateurs potentiels … pour voir, aussi, à l’inverse, les influences sur l’environnement du travail des abeilles ( pollinisation) et celles des différentes techniques de la récolte du miel pratiquées en Afrique de l’Ouest . L’ensemble a été regroupé sous la rubrique « Miel et Environnement » .
Le passage à différentes formes d’apiculture est, le plus souvent considéré comme un progrès. Cette activité se développe, elle-même, plus ou moins, freinée par beaucoup d’obstacles ; Est-ce qu’elle contribue au développement local ? à celui des économies nationales ? à certaines composantes d’un développement humain, social difficile à quantifier ? Qu’en est-il de la pérennisation des progrès accomplis ? … Sous le titre « Apiculture et Développement » beaucoup de questions, quelques réponses sur le développement que l’apiculture induit déjà ici ou là, celui qu’elle permet d’espérer, en quantité, en qualité, occasionnel ou durable .
Des limites certes, mais des liens prometteurs .
Travail téméraire, la présente étude a pour ambition d’indiquer des pistes, de poser des questions, parfois sans réponse définitive. D’autres poursuivront, préciseront, à commencer par les quelques étudiants d’universités africaines avec lesquels une petite équipe de recherche se met en place et a pu déjà fournir d’utiles informations collectées sur le terrain et faire aboutir quelques monographies comme celle de Yaya MBALLO2
Au total, le butinage incomplet du territoire est un choix, accentué parfois par les circonstances, mais les exemples traités reflèteront une bonne part de la diversité de l’espace et de la multiplicité des thèmes. Nous y avons veillé tout particulièrement, en essayant de ne pas donner une importance démesurée aux communautés rurales (fort nombreuses) qui nous ont réservé un accueil plus cordial encore que les autres.
Les contacts sur place ont effectivement permis de créer des liens étroits dans le feu, ou plutôt la fumée, de l’action concrète à l’occasion des visites auprès des cueilleurs, des apiculteurs, des techniciens, … mais aussi des colonies d’abeilles.
Il est vrai que mettre la main à la ruche en compagnie de son propriétaire crée un climat, une confiance, une sorte de complicité de toujours qui devient naturelle dans l’instant si la colonie reste à peu près douce et ne déserte pas sous les mains du visiteur étranger. Des échanges sur la vie de nos abeilles respectives, le calendrier, le matériel, le savoir-faire, les tours de main au Nord et au Sud, … consolident l’attente d’un partenariat (qui a pu, ici ou là, prendre forme).
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(1) L’Activité spatiale apicole en France . Flora Sheng-hua CHENG Thèse de 3èmr cycle de Géographie Paris IV Octobre 1984 .
(2) Impact socio-économique et Incidences environnementales de la Récolte du Miel en Haute Casamance – Le Cas de la Communauté rurale de Tankanto-Escale . Yaya MBALLO Maîtrise de Géographie – Université Gaston Berger de Saint Louis 2001
Enfin, cette recherche, grâce aux liens établis, peut contribuer ici ou là, à une sensibilisation au bienfait qu’une apiculture maîtrisée peut répandre sur l’espace et dans la société : protection de l’environnement, complément logique et naturel sur différents plans (celui de l’alimentation, de l’économie familiale ou villageoise, du calendrier du paysan, …). Beaucoup de responsables d’associations ou de services publics, d’apiculteurs, de scientifiques, d’étudiants, d’O.N.G., y contribuent. Que tous soient ici remerciés pour l’aide apportée, dans l’enthousiasme, à ce travail et à la cause d’une apiculture porteuse pour les hommes, les abeilles et leur espace commun.
[1] In L’apiculture africaine en régions tropicales et équatoriales de l’Ouest, Bruno VILLIERES, p. 195
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